Comprendre et aimer un style de vie

Si la réalité du célibat que nous allons considérer ne se comprend que dans une perspective surnaturelle, le point de vue qui sera développé est majoritairement anthropologique, et en concret psychologique. Les questions à traiter nécessiteront également une approche spirituelle, qui assume celle psychologique. Cette dimension spirituelle se développe grâce à la vie de la grâce, avec les sacrements et la prière, avec l’aide de la direction spirituelle, avec les dons de l’Esprit Saint, etc.

Nous nous inspirons d’une manière spéciale des enseignements que saint Josémaria a largement développés sur l’appel universel à la sainteté, incluant parmi eux les fidèles laïcs qui ont reçu le don du célibat apostolique.

1. Que signifie la vocation des laïcs? Ayant reçu le baptême, je «suis né» laïc, mais y aurait-il un appel à rester laïc?

Étant baptisé, je suis appelé par Dieu à la sainteté et à l’apostolat. Par conséquent, cette vocation – la vocation chrétienne – est la même pour tous ceux qui reçoivent le baptême et elle demeure toujours; c’est le sens le plus profond du mot vocation puisqu’il est marqué par le sceau du sacrement du baptême.

Plus tard, au fur et à mesure que la conscience personnelle de cet appel mûrit, les chemins concrets que Dieu a préparés pour que chacun développe cette grâce baptismale peuvent être découverts intérieurement. Et c’est à ce stade que l’on peut parler de «vocation laïcale» ou de «vocation sacerdotale», ou de «vocation religieuse». Après, dans cette possible vocation laïque, Dieu pourra continuer à montrer à cette personne des chemins: la vocation au mariage, le célibat apostolique, une certaine dédication professionnelle, etc.

2. Quel aspect de la vie du Christ les laïcs imitent-ils ?

Les fidèles laïcs imitent toute la vie de Jésus. Il ne s’agit pas d’une simple imitation extérieure, mais de vivre la vie même du Christ dans son existence ordinaire, qui est le lieu et la matière de leur sanctification et de leur apostolat. C’est pourquoi ils accordent une attention particulière aux années de la vie cachée de Jésus à Nazareth, où ils contemplent le modèle pour sanctifier la famille, le travail et la vie sociale. Mais ces années ne se séparent pas de la vie publique, ni de la Passion, de la Mort, de la Résurrection et de l’Ascension du Seigneur au Ciel, mais, comme Jésus, ils vivent tout cela au quotidien : là ils enseignent la vérité, comme Jésus durant sa vie publique; là, ils portent la croix de chaque jour; là, ils donnent leur vie pour d’autres unis au sacrifice du Calvaire; là, ils vivent la vie du Christ ressuscité et le placent au sommet des activités humaines.

3. Le renoncement au mariage pour les prêtres et les religieux est compréhensible, mais quelle en est la signification chez les laïcs ?

Le célibat est un don spécial que Dieu fait, par lequel il exige l’amour d’un « cœur sans partage, sans la médiation d’un amour terrestre » (Entretiens, n. 122). Son sens, avec cet appel à un amour pour Dieu sans médiation, est de coopérer d’une manière spéciale à la transmission de la vie surnaturelle à d’autres personnes. C’est pourquoi, vécue dans sa plénitude authentique, il génère une paternité ou une maternité spirituelle plus intense. Dieu accorde ce don aussi bien aux laïcs qu’aux religieux ou prêtres, bien qu’avec une signification spécifique dans chaque cas.

Le célibat apostolique est un don que Dieu accorde à certaines personnes pour s’unir plus intimement au Christ et coopérer de manière spéciale avec lui dans sa mission salvifique, mettant en pratique le sacerdoce commun (dans le cas des laïcs) ou le sacerdoce commun et ministériel (dans le cas des ministres ordonnés). Dans le cas des religieux, le célibat est au service de leur mission spécifique, qui est de témoigner que la fin du chrétien est le Royaume des Cieux, où « ils ne se marieront ni ne seront donnés en mariage », comme on le lit dans l’Évangile de Saint Marc. Ils rendent ce témoignage à travers un état de vie consacrée par les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, avec une vie de dévouement à l’amour de Dieu et d’aide aux autres qui comporte une certaine séparation du monde, c’est-à-dire des réalités professionnelle, familiale et sociale. Même s’ils peuvent exercer certaines professions, par exemple, dans le domaine de l’éducation ou de l’assistance, leur mission n’est pas de sanctifier le monde à l’intérieur de ces réalités, comme dans le cas des laïcs, mais par leur consécration religieuse.

4. Saint Josémaria, par exemple, a eu clair à l’esprit dès le début la spécificité de l’appel du laïc au célibat, sans la nécessité d’une consécration autre que celle du baptême. Pourquoi est-ce parfois difficile à comprendre dans le monde ecclésial ?

La première Lettre aux Corinthiens témoigne que parmi les premiers chrétiens, il y avait ceux qui avaient reçu le don du célibat pour le Royaume des Cieux. De même, les Pères de l’Église de la fin du 1er et du début du 2e siècle, comme saint Clément Romain et saint Ignace d’Antioche, parlent de ceux qui reçoivent le don du célibat, et ne mentionnent pas qu’ils ont fait une consécration autre que celle du baptême. Très important est le témoignage de saint Justin qui, au milieu du IIe siècle, affirme que de nombreux chrétiens, hommes et femmes, sont restés célibataires et souligne qu’ils sont des fidèles communs.

Aux 3e et 4e siècles, on parle de « vierges consacrées », qui accomplissent une consécration publique et mènent un état de vie particulier. Certains Pères de l’Église les appellent « épouses du Christ ». Plus tard, l’état de vie consacrée a commencé à être vécu dans les monastères et plus en avant dans les ordres religieux et les congrégations [1].

On pourrait insister sur le fait que la compréhension du célibat chez les laïcs va de pair, entre autres, avec la compréhension du même appel universel à la sainteté. Quiconque connaît l’histoire de la théologie sait bien que la doctrine sur ces points est encore à l’état embryonnaire, même après le Concile Vatican II. Dans cette situation, il n’est pas surprenant qu’il puisse encore être difficile de comprendre qu’il existe des laïcs qui recherchent la sainteté de toute leur âme, qui veulent être contemplatifs au milieu du monde, et que certains d’entre eux reçoivent le don du célibat.

5. Pourquoi parle-t-on du célibat apostolique ? En quoi est-il similaire et en quoi diffère-t-il des autres formes de célibat dans l’Église ?

Le don du célibat est toujours apostolique, que ce soit pour les ministres sacrés, les religieux que pour les laïcs. Mais dans chaque cas, ce célibat est « apostolique » d’une manière différente, selon la mission de chacun. Chez les fidèles laïcs, le célibat apostolique est au service de la mission de sanctifier le monde dans la vie professionnelle, familiale et sociale. Le don du célibat les conduit à se donner à Dieu sans partage pour se consacrer « aux choses du Seigneur », comme le dit saint Paul.

Saint Josémaria réserve généralement l’expression « célibat apostolique » pour désigner les laïcs qui ont été appelés sur ce chemin. On comprend qu’il ne dit pas simplement « célibat » mais ajoute « apostolique », car il veut le distinguer de l’état civil de célibataire sans motivation d’amour de Dieu. On comprend également que lorsqu’il parle du célibat des ministres sacrés ou réligieux, il n’ajoute pas «apostolique» car ces formes de célibat sont généralement désignées comme «célibat sacerdotal» ou «célibat consacré», expressions qui incluent déjà la dimension apostolique.

En général, le célibat apostolique des laïcs a en commun avec le célibat sacerdotal des ministres ordonnés et avec le célibat consacré des religieux, l’appel à se donner à Dieu et aux âmes avec un cœur sans partage. D’un autre côté, dans le cas spécifique de l’Opus Dei, le célibat apostolique des laïcs se caractérise par le fait d’être au service de la mission laïque de sanctifier le monde de l’intérieur (ce qui est typique de tout laïc qui reçoit ce don) et parce qu’il est vécu avec l’esprit spécifique de l’Opus Dei et ses propres modes apostoliques.

6. Si la caractéristique des laïcs est de sanctifier le monde de l’intérieur, être célibataire ne sépare-t-il pas en quelque sorte du monde?

Le célibat apostolique ne sépare pas du monde tout comme celui qui décide de ne pas se marier pour n’importe quel motif humain ne se sépare du monde. Dans le cas du célibat pour le Royaume des Cieux, le motif est l’amour de Dieu et des âmes. D’autres peuvent ne pas se marier pour des raisons nobles, comme prendre soin de leurs parents ou se consacrer à une tâche de service à la société, et cela ne les sépare pas du monde. D’autres, enfin, peuvent ne pas le contracter pour des raisons égoïstes, mais cela n’implique pas non plus le retrait du monde.

En ce sens, ceux qui vivent le célibat apostolique non seulement ne se retirent pas du monde, mais peuvent se sentir pleinement dans le monde, car ce don est accueilli pour contribuer à la sanctification du monde de l’intérieur.

7. Une personne célibataire peut-elle réaliser pleinement sa féminité ou sa masculinité ?

Une personne peut mener une vie pleine et fructueuse, en vivant le célibat. « Avec le célibat, rien de l’humain n’est perdu. Les notes essentielles de la masculinité ou de la féminité brillent d’une nouvelle manière » (W. Vial, Psicología y Celibato, p. 146).

Une riche affectivité est compatible avec le don à Dieu dans le célibat. Il serait erroné de penser que l’affectivité doit être «sacrifiée» devant un bien plus grand qui est le don complet et exclusif à Dieu. Cette tendance trouve peut-être son origine dans une certaine conception stoïcienne de la vie chrétienne ou dans l’identification de l’affectivité à la sexualité, qui est un réductionnisme.

Considérer qu’une personne célibataire ne peut pas atteindre un équilibre affectif, ou que l’état matrimonial est émotionnellement et mentalement plus sain, c’est en quelque sorte envisager que la personne elle-même est incomplète et qu’elle doit combler cette lacune avec l’autre sexe et exercer la sexualité pour atteindre la plénitude.

Chaque personne est complète en tant que personne, ce qui n’empêche pas que, pour se réaliser pleinement, elle a besoin de Dieu et des autres et, par conséquent, de ses relations avec les hommes et les femmes. Mais ces relations, bien qu’elles soient toujours entre personnes sexuées (hommes et femmes), n’ont pas besoin d’être sexuelles.

L’affectivité sexuée n’est donc pas liée à la sexualité et à son usage, mais à l’amour. La personne ne peut pas vivre sans amour, car sa vocation consiste à aimer : avoir de bonnes relations avec les autres, se donner aux autres. En ce sens, chaque personne atteint sa plénitude à travers une vie donnée aux autres. Pour cette raison, l’amour intègre la totalité de la personne : tendances, désirs, affections, intelligence-volonté, l’agir et les relations personnelles. En fin de compte, l’amour intègre personnellement la féminité et la masculinité dans ses diverses manifestations physique, mentale et spirituelle. Pour cette raison, la réalisation personnelle de sa propre féminité ou masculinité n’exige pas nécessairement le niveau physico-biologique, pas même la conjugalité, la paternité-maternité ou la création d’une famille humaine, mais tend plutôt vers la communion personnelle.

Le mariage est une manière de réaliser cette communion, mais pas l’unique. Il existe différentes manières de procéder. Pour certaines personnes, la vocation à l’amour ne passe pas par le mariage, mais se réalise sans aucune médiation d’un mari ou d’une femme. Cela explique aussi pourquoi l’amour conjugal ne se termine pas en lui-même, il doit toujours être ouvert à la communion avec Dieu et avec les autres. C’est pourquoi le mariage, lorsqu’il est vrai, est toujours un chemin vers et non un but. Le but est toujours la plénitude de l’amour, qui ne se trouve qu’en Dieu.

Quand Jésus parle du mariage à ses contemporains, après avoir rappelé l’enseignement de la Genèse, il va plus loin. Le Seigneur parle de ceux qui, par un don spécial, sont capables de renoncer au mariage « pour le Royaume des Cieux » (Mt 19, 12). Jésus lui-même a parcouru ce chemin, car il est resté célibataire. Il n’avait besoin d’aucune médiation : « le Père et moi sommes un » (Jn 10, 30). Et non seulement il l’a parcouru, mais il est lui-même le Chemin pour beaucoup d’autres personnes pour trouver l’amour total de Dieu. Ainsi, « la virginité et le mariage sont, et doivent être, des manières différentes d’aimer,” parce que l’homme ne peut pas vivre sans amour “» [2].

8. Les célibataires limitent-ils leur richesse affective ?

Tout d’abord, il faut dire ce que l’on entend par affectivité. Avec ce terme, nous nous référons à la capacité de vivre intimement les réalités externes, les événements, les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, les relations avec les autres et avec nous-mêmes. Bref, c’est la capacité que nous avons de « nous sentir touchés » par ce qui nous entoure, de vibrer avec le monde et les gens, de nous laisser interpeller par la réalité. Les célibataires ne limitent pas leur richesse affective lorsqu’ils aiment: lorsqu’ils sont capables d’accepter et même d’aimer la réalité telle qu’elle est, sans l’idéaliser et sans la dénigrer. En ce sens, l’intégration de la sexualité est fondamentale pour parler d’une affectivité riche et mature. En effet, pour l’intégrer, il ne suffit pas de connaître, de retenir et de s’approprier la dynamique physique, physiologique, psychologique et spirituelle de la sexualité, c’est-à-dire de la personnaliser, mais surtout il faut exprimer à travers elle le don de soi à Dieu et aux autres. Un don qui est toujours une réponse à l’appel que le célibataire et le marié reçoivent de Dieu. Pour cette raison, le célibat ne consiste pas seulement en continence, annulation des désirs ou simple maîtrise de soi, mais en un don qui doit être demandé avec humilité et constance.

Les gens qui vivent le célibat apostolique accueillent avec gratitude le don de l’amour de Dieu dans leur vie, et essaient d’en prendre soin afin que rien ne le ternisse ou ne le fasse perdre son éclat. Pour ce faire, ils aiment Dieu et les autres avec un cœur humain, le seul que nous ayons, ils prennent soin des autres avec tendresse et charité, leur montrant ainsi, avec leur propre vie, l’amour que Dieu a pour eux. En se laissant aimer entièrement par le Seigneur, ils peuvent donner aux autres l’amour qu’ils reçoivent. Et, se donnant exclusivement au Christ et sachant qu’Il les envoie au peuple – aux personnes spécifiques qui les entourent – ils essaient de remplir le monde de Son même Amour. La différence avec les personnes mariées ne se réfère donc pas à l’amour, mais aux relations conjugales et familiales, ainsi que l’affectivité qui y est liée, puisqu’elles dépendent de l’amour humain, c’est-à-dire entre un homme et une femme.

9. L’apostolat est-il un moyen de développer une maternité / paternité spirituelle ?

Tout d’abord, il faut spécifier ce que l’on entend par « maternité spirituelle » (ou « paternité spirituelle »). Saint Jean, dans le premier chapitre de son Évangile, parle d’une naissance de la chair et du sang, qui est la naissance de la vie naturelle, et d’une naissance «de Dieu » qui est la naissance de la vie surnaturelle. La «maternité spirituelle» se réfère à cette dernière : c’est la maternité de celui qui a été un instrument pour communiquer la vie surnaturelle à un autre, coopérant avec l’Esprit Saint, source de cette Vie (c’est pourquoi c’est «la vie spirituelle »). En ce sens, Saint Paul appelle les Galates “ses enfants” parce que Dieu l’a utilisé pour leur communiquer cette vie.

Le célibat apostolique conduit à coopérer de manière spéciale avec le Saint-Esprit pour communiquer la vie surnaturelle aux autres ou pour la faire grandir en eux, et c’est pour cette raison qu’il est une source de maternité spirituelle. Cela se produit dans l’apostolat quand on coopère à la naissance d’un autre à la vie spirituelle (par exemple, aider une personne à se faire baptiser); ou aussi et plus fréquemment en coopérant à ce qu’une personne puisse récupérer dans le sacrement de Pénitence la vie surnaturelle qui avait été perdue à cause du péché mortel; ou en aidant quelqu’un à grandir en vie surnaturelle; et surtout en collaborant avec le Saint-Esprit pour qu’une autre personne découvre le chemin de sainteté sur lequel Dieu l’appelle. Tout ce qui précède fait partie de l’apostolat.

10. La personne qui vit le célibat apostolique le fait simplement pour être plus disponible, pour avoir plus de temps pour se consacrer à l’œuvre apostolique ?

Le célibat n’est pas seulement une question de disponibilité « matérielle », en termes quantitatifs, comme s’il était justifié par des raisons d’efficacité : pour réaliser certains travaux d’apostolat, il faudrait ne pas avoir d’autres engagements. Cette approche est réductrice.

Il s’agit plus de la « disponibilité » du cœur : avoir un cœur avec la liberté effective de ne vivre que pour Dieu et, à travers Lui, pour les autres, pour toutes les âmes [3]. Ceci est possible parce que le célibat apostolique est une motion spéciale et un don de Dieu. « Le célibataire s’inquiète des choses du Seigneur, comment plaire au Seigneur» (1 Co 7, 32). Il n’ignore pas ses égaux au milieu du monde, au contraire : les choses du Seigneur sont les autres personnes, pour lesquelles il offre sa vie.

Benoît XVI a évoqué ce point en parlant du célibat des ministres sacrés, mais ses paroles peuvent aussi s’appliquer au célibat apostolique des laïcs : « Les raisons purement pragmatiques, la référence à une plus grande disponibilité, ne suffisent pas » ; le célibat “doit signifier plutôt se laisser emporter par l’amour de Dieu et ensuite, par une relation plus intime avec lui, apprendre aussi à servir les hommes” [4].

11. En el caso concreto del Opus Dei, ¿cómo se explica que sus fieles, tanto los casados como los célibes, compartan la misma vocación, si desde el punto de vista teológico, el celibato es superior al matrimonio?

L’Église soutient que le célibat est, d’une certaine manière, un appel plus élevé que le mariage. Cela tient à plusieurs raisons : l’identification au Christ également dans cet aspect particulier de sa vie sur terre, la supériorité de la paternité et de la maternité spirituelles par rapport aux êtres humains [5], l’impulsion de foi qui nécessite de se lancer dans une fertilité surnaturelle, entre autres. Cependant, “pour chacun, la chose la plus parfaite est – toujours et seulement – de faire la volonté de Dieu” [6]. Par conséquent, aucune des deux voies n’est automatiquement plus sainte ni plus efficace apostoliquement.

Compte tenu du fait que la vocation à l’Opus Dei inclut l’appel à la sainteté et à l’apostolat dans sa propre situation – c’est l’essentiel de la vocation à l’Œuvre -, on comprend que l’on peut la vivre à la fois dans le mariage et dans le célibat.

12. Qu’est-ce qui peut entraver la maturation psychique ou un développement sain de la personnalité ?

Il est difficile d’établir la limite entre santé et maladie, mais on peut dire que, dans le cas de la santé mentale, cela est lié à un critère adéquat d’acceptation de la réalité sans distorsions, avec un développement harmonieux de la personnalité, avec une attitude adéquate face à soi-même (connaissance de soi, acceptation de soi, maîtrise de soi) et avec une bonne adaptation à l’environnement et aux difficultés et situations de conflit.

Des facteurs génétiques, familiaux, comportementaux et sociaux influencent l’apparition d’une maladie mentale. Par exemple, le déséquilibre affectif chez une personne auparavant en bonne santé peut survenir lorsqu’elle prend une décision qui affecte toute son existence et, néanmoins, continue à vouloir, désirer, regretter ce qu’elle laisse. Il y a donc rupture de la personnalité. Par conséquent, la santé mentale et émotionnelle n’est pas liée au célibat ou à la vie conjugale, mais à certains des facteurs mentionnés ci-dessus.

13. Peut-on atteindre un équilibre mental et émotionnel en étant célibataire ?

Les concepts de « maturité ou équilibre affectif » et de « santé psychique ou équilibre mental » sont des concepts dynamiques. Nous ne pouvons jamais garantir qu’une certaine pathologie ne puisse apparaître à un moment donné. Face à de nouvelles situations nécessitant des comportements d’adaptation, il existe toujours un risque de décompensation (anxiété, dépression, trouble du comportement, etc.)

Cependant, si une personne tout au long de sa vie acquiert et développe certaines capacités telles que la connaissance de soi, l’acceptation de sa propre réalité (sa biographie, sa situation personnelle, familiale et sociale), un projet de vie personnel réaliste, la capacité d’avoir un comportement cohérent adapté à la réalité, avec des buts et objectifs réalistes et concrets, et la capacité d’établir des relations affectives stables, elle sera en mesure d’atteindre un équilibre mental et affectif qui lui permettra d’orienter sa propre vie vers le but qu’elle s’est proposé.

Pour qu’il y ait équilibre mental et affectif, lorsqu’une personne décide d’emprunter la voie du célibat, elle doit être consciente qu’elle a mis de côté d’autres options et que cette décision implique tous les aspects de sa personnalité, ainsi que ses désirs, affections et projets, pour toute la vie. Elle n’a pas à les cacher, à les mettre de côté ou à les faire taire, mais à les mettre au service de Dieu, qu’elle a choisi avec un amour exclusif, et elle doit lutter toute sa vie pour que tous ses amours terrestres soient informés et tournent autour de son grand amour et qu’ainsi ceux-ci ne deviennent pas un obstacle.

La maturité affective est importante chez une personne célibataire, pas nécessairement comme point de départ ou comme accomplissement définitif, car en tout – y compris dans l’intégration affective et sexuelle – on peut grandir, mais plutôt comme une tâche dans laquelle il faut s’efforcer pour pouvoir aimer Dieu de tout son cœur et de toute ses forces.

Dans tous les cas, pour atteindre cet équilibre, la personne doit « aimer et se sentir aimée». Pour y parvenir, il est généralement très utile d’avoir un large éventail de relations humaines et sociales, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de sa famille ou institution.

14. De quelles caractéristiques faut-il tenir compte au moment de discerner si une personne est en mesure de recevoir le don du célibat?

Un avertissement préliminaire: les caractéristiques suivantes d’une personnalité harmonieuse ne sont pas exclusives aux personnes appelées au célibat. Ces traits sont nécessaires pour quiconque veut vivre pleinement la vocation humaine et chrétienne, puisque toute vocation consiste à se donner, par amour, aux autres.

Il est important que ces personnes aient une personnalité harmonieuse, c’est-à-dire qu’elles aient une bonne estime de soi (qui renvoie également à leurs propres connaissances) et une autonomie pour prendre des décisions importantes, avec un degré suffisant d’intégration affective adapté à leur âge. Qu’elles soient capables d’un comportement en phase avec la réalité (il est important qu’il soit bien valorisé si la personne fait la distinction entre ce qu’elle pense pouvoir faire et son pouvoir réel), et que leurs relations interpersonnelles soient normales (une personne très dépendante ou extrêmement invasive ou très instable, n’est peut-être pas adaptée au célibat).

En général, certains signes de maturité et d’immaturité peuvent être mis en évidence:

1 a) Signes de maturité:

– Connaissance de soi.

– Adéquation à la réalité: capacité à percevoir, penser et agir conformément à la réalité et à ses nuances.

– Acceptation de soi et autocritique.

– Autonomie affective et opérationnelle.

– Maîtrise de soi: capacité à canaliser les émotions et les inclinations (impulsions).

– Adaptation efficiente à l’environnement social.

– Confiance en soi.

– Sincérité et cohérence.

– Tolérance à la solitude.

– Capacité à maintenir des relations affectives stables.

– Capacité à s’engager: donner et recevoir.

– Attitude transcendante.

1 b) Caractéristiques d’une personnalité immature (plusieurs d’entre elles peuvent être surmontées par l’intégration affective et l’âge):

– Connaissance erronée et superficielle de soi-même.

– Absence d’un but dans la vie. Incohérence.

– Instabilité émotionnelle.

– Faible maîtrise de soi.

– Faible tolérance à la frustration.

– Rejet de la critique constructive.

– Relations conflictuelles: difficulté à donner et à recevoir un amour authentique.

– Peur de l’engagement et de la responsabilité. Manque de constance. Manque de volonté et de responsabilité.

– Intolérance et inflexibilité, rigidité: «tout ou rien».

– Empire du présent. Recherchez le bien immédiat.

– Dépendance émotionnelle. Manque d’autonomie.

– Influence exagérée “du qu’est-ce qu’on en a dit?”, du “qu’en dira-t-on?”.

– Non-acceptation de la réalité: refuge dans le “si c’était …”, dans la mystique du “plaise à Dieu”, la plainte intérieure ou la critique.

Dans tous les cas, dans le processus de discernement, il est important d’aider la personne à mieux se connaître et à savoir identifier ce qui lui arrive, afin de le communiquer aux autres. Le manque de connaissance de soi peut conduire à «donner une image» de soi qui ne correspond pas à la réalité. Il est convenable de connaître très bien les personnes qui se sentent appelées au célibat: non seulement prendre en compte les aspects extérieurs, «comment elles fonctionnent», mais aussi savoir ce qu’elles ressentent, quelles motivations les poussent à agir, ce qui les inquiète, si elles le savent, si elles sont capables de le dire et, surtout, ce qu’elles veulent, où elles veulent diriger leur vie et pourquoi. Il est également important de connaître les aspects biographiques qui peuvent influencer leur relation avec les autres. Les questions visant à approfondir ce qui leur arrive les aident à communiquer leurs émotions avec sérénité et cela peut aider à les rendre objectives.

15. Y a-t-il des caractéristiques de «risque» dont nous devrions tenir compte lors du discernement?

On signale ces caractéristiques de «risque» suivantes :

– Perfectionnisme / rigidité.

– Obsession / Compulsivité.

– Instabilité émotionnelle.

– Immaturité affective.

– Insécurité / dépendance.

– Impulsivité.

– Comportements addictifs.

– Problèmes d’identité sexuelle.

– Troubles de la personnalité.

– Formes de comportement anormales et inadaptation durable et profonde (elles ne peuvent être diagnostiquées qu’au début de la vie adulte).

Bien qu’ils ne soient pas des traits caractéristiques, d’autres aspects pourraient être considérés:

– Besoins affectifs spéciaux (personnes qui ont besoin de manifestations affectives très évidentes, sensibles, physiques pour se sentir aimées).

– Difficultés avec les figures d’autorité.

– Expériences sexuelles de la personne. Chaque expérience laisse une marque qui ne peut être sous-estimée et il est nécessaire de savoir, dans chaque cas, à quel point elle a affecté une personne. Par exemple, sans que ce soit un critère déterminant ou absolu, une personne ayant des chutes fréquentes dans le domaine de la chasteté peut manifester un déséquilibre affectif dont il faut tenir compte lors de la focalisation de sa lutte.

– Situations possibles de promiscuité ou d’abus qui ont été vécues au sein de la famille. Auparavant, ce sujet était plus fréquent dans les familles à faible niveau socio-économique. Cependant, c’est maintenant une réalité qui peut se produire plus souvent même dans des environnements sociaux élevés: des abus de la part de beaux-parents ou de demi-frères ou, sans abus, ce peut être des situations vécues qui perturbent émotionnellement une personne.

16. Y a-t-il des considérations féminines spécifiques dont il faut tenir compte dans le discernement vocationnel des femmes?

Chez la femme, la vie affective est plus riche. Les femmes sont plus empathiques, interdépendantes, plus capables de prêter et de recevoir de l’aide, de se rendre compte des besoins des autres, plus intuitives et il est plus habituel qu’elles expriment ouvertement leurs sentiments et leurs besoins. La femme, si elle est triste, l’exprime plus ouvertement – bien qu’en d’autres occasions, au contraire, il lui soit plus facile de cacher ses émotions et de souffrir en silence, ce qui pourrait donner lieu à des ressentiments, des tensions intérieures, etc. -; l’homme le manifeste davantage par son comportement (irritabilité, colère, isolement, etc.).

L’hypersensibilité émotionnelle peut conduire à une souffrance accrue des difficultés dans les relations interpersonnelles. Pour le reste, la femme peut être plus vulnérable au stress en vivant plus émotionnellement ce qui lui arrive.

Il est plus courant que les femmes jugent la réalité à partir de l’affectivité, ce qui tend à «colorer» leur manière de faire face et d’évaluer les situations. Cette dimension de la vie est plus totalisante chez les femmes. Par conséquent, il est très important qu’elles apprennent à découvrir et à nommer leurs émotions. À partir de là, il leur sera plus facile de les positionner par rapport aux événements qui les ont provoquées.

Après avoir connu leurs émotions, il leur sera plus facile d’aller à la racine de leurs humeurs, d’avoir une vision réaliste d’elles-même, de leurs relations et de leur environnement familial, professionnel et social.

D’autre part, le cycle hormonal féminin, lié à la possibilité d’une grossesse, influence généralement les changements d’humeur. Pour cette raison, il est important de le connaître suffisamment bien, afin d’être en mesure de l’assumer normalement et d’éviter les complications émotionnelles. De fait, il existe parfois des épisodes de dépression prémenstruelle liés aux changements hormonaux liés à un tel cycle. Il pourrait y avoir des moments de plus grande demande émotionnelle qui, en raison de l’ignorance, génèrent des doutes sur la capacité à vivre normalement le célibat.

17. Une personne en manque de maturité émotionnelle, causée par l’absence de parents (manque de proximité pendant l’enfance et l’adolescence, séparation, divorce, remariage, etc.) peut-elle être guidée, si elle voit que Dieu l’appelle, au célibat? Cette lacune «affective» peut-elle être comblée, ou vaut-il mieux la faire attendre et la diriger vers le mariage?

Il est important de voir au cas par cas et de connaître en profondeur les personnes et leurs réalités familiales pour comprendre à quel point la situation familiale a affecté la formation de leur personnalité. Dans le noyau familial, et plus particulièrement dans la relation avec les parents, les gens développent leur identité. C’est là que la personne se révèle: elle apprend qui elle est et qu’elle est aimée pour elle-même. Par conséquent, les figures parentales sont essentielles pour façonner son unicité. Le père et la mère ont des rôles différents et décisifs dans ce processus.

La relation entre les parents joue également un rôle important dans le style émotionnel et relationnel de chaque personne. Il s’ensuit que ce n’est pas la même chose que deux parents soient présents pendant l’enfance et l’adolescence qu’un seul; il n’est pas indifférent non plus que la relation entre les parents soit harmonieuse ou conflictuelle. L’absence ou le conflit aura un impact négatif sur le processus d’identification personnelle. En même temps, il y a des familles avec un père et une mère qui détruisent l’affection de leurs enfants, et il y a celles avec une seule figure d’un parent qui parviennent cependant à compenser l’absence de l’autre.

En ce sens, certains facteurs influencent comme, par exemple, le fait que ce n’est pas la même chose d’être un enfant unique que d’appartenir à une famille avec plusieurs frères et sœurs, et ce n’est pas la même chose que celui qui est absent soit le père ou la mère. La présence des grands-parents ou des oncles n’est pas non plus indifférente. Comme la personnalité est modelable et admet une compensation, un frère plus âgé et proche peut en partie «remplacer» la figure du père absent; une mère équilibrée et affectueuse peut agir comme père et mère; les grands-parents proches et présents peuvent combler le vide émotionnel des parents, etc. L’important est de savoir dans quelle situation se trouve chaque personne.

Lorsqu’il s’agit de discernement vocationnel, le fait qu’une personne soit née ou ait vécu au sein d’une famille dysfonctionnelle ou non structurée ne signifie pas qu’elle ne pourra pas développer une personnalité mature et qu’elle ne pourra pas recevoir le don du célibat. Cependant, nous devons garder à l’esprit la probabilité que les carences de l’environnement familial aient laissé une blessure ou, du moins, une marque négative, en particulier sur le sentiment de sécurité personnelle. Pour que la personne ait un développement émotionnel normal et pour qu’elle développe un sentiment adéquat de sécurité personnelle, ces deux piliers de base sont très importants:

– Acceptation-affection: sentiment de se sentir aimée et acceptée pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle fait;

– Stabilité réglementaire: savoir quelles sont les lignes directrices de conduite sur lesquelles elle doit être guidée.

Dans ce processus, outre l’importance de la présence des deux parents et du fonctionnement normal de la famille (ou des compensations adéquates pour le développement de l’identité de l’enfant), d’autres facteurs peuvent également être déterminants. Dans certains cas, une certaine altération des attitudes paternelle et maternelle est détectée aux premiers stades du développement de l’enfant. Concernant le besoin de se sentir aimé et accepté, on peut trouver un rejet ou une surprotection, et concernant la stabilité normative, on peut trouver l’autoritarisme ou la permissivité. À l’adolescence, les personnes présentant ces déficiences peuvent rechercher davantage de reconnaissance et d’approbation externes et être plus vulnérables à l’opinion des autres. Ils peuvent être plus dépendants des personnes qui représentent l’autorité: chercher leur approbation, et être plus sensibles à ce qu’ils considèrent comme un rejet, etc.

Une attention particulière doit être accordée à la personne qui manifeste un problème affectif clair en raison de demandes d’attention disproportionnées, d’exigences de manifestations corporelles d’affection, d’une faible tolérance à la solitude et au changement, etc. Dans ces circonstances, il est utile de savoir si elle a déjà eu des expériences traumatisantes, etc. Le mieux, dans ces cas, serait de l’accompagner dans sa croissance sans s’attendre à une vocation au célibat jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’elle a la stabilité convenable pour son âge et sa condition.

Bien entendu, dans les cas où des doutes sérieux surgissent, il sera probablement nécessaire de consulter un spécialiste, un médecin, un psychologue ou un psychiatre.

18. La dépendance affective, est-elle une question d’éducation? Cela peut-il avoir des conséquences majeures dans un appel au célibat?

La dépendance affective survient généralement chez les personnes ayant une faible estime de soi, qui n’ont pas développé une autonomie personnelle adéquate. Cela peut survenir chez des personnes peu sûres d’elles-mêmes, qui ont besoin d’être prises en charge et qui développent des comportements d’une certaine soumission par peur de la séparation. Elle peut avoir son origine dans l’éducation (parents trop protecteurs), mais elle est surtout due à une carence dans le processus d’identification et de différenciation.

Pour aider les personnes non sûres d’elles-mêmes et dépendantes, il est important de renforcer le sentiment de sécurité personnelle et de souligner que nous sommes les protagonistes de notre propre existence et non de simples spectateurs. Il faut prendre les rênes et mener à bien notre projet existentiel, orienter notre propre vie vers le but que nous voulons atteindre.

Dans ce voyage on peut traverser différentes situations, être bien ou mal accompagné, avoir plus ou moins de santé, traverser plus ou moins des difficultés, mais l’important est de partir d’un «vrai soi» et d’être clair sur le but que l’on veut atteindre.

Quelques idées pour aider une personne à renforcer son sentiment de sécurité personnelle:

– Agissez de manière à ce que la personne fasse confiance à ses propres capacités.

– Indiquez explicitement que cette personne est importante pour les autres.

– Encouragez-la à accepter ses propres sentiments et aidez-la à les exprimer.

– Aidez-la à vivre dans le présent.

– Apprenez lui à se distraire dans les activités quotidiennes.

– Aidez-la à identifier son échelle de valeurs et de principes, et à être prête à les défendre face à des difficultés ou à des oppositions, ou à pouvoir les modifier si elle se rend compte qu’elle a eu tort.

– Aidez-la à ne pas se laisser manipuler.

– Aidez-la à agir selon ce qu’elle considère comme le plus correct.

– Donnez-lui de l’espoir.

19. Une personne, par le simple fait de vivre le célibat, aurait-elle besoin d’une plus grande résilience psychologique, ou surtout de renforcer certaines vertus? Comment répondre aux besoins émotionnels des personnes données à Dieu?

En psychologie, la résilience est comprise comme la capacité d’une personne à s’adapter, à faire face et à surmonter des circonstances défavorables. Peut-être que pour vivre le célibat, une plus grande résilience est nécessaire, mais cela dépend, comme dans la plupart des choses, de chaque personne. Il peut être utile de tenir compte du fait que la tolérance à la frustration (comprise comme la capacité à endurer des expériences négatives sans se décourager ou souffrir de manière disproportionnée sur le plan émotionnel) et la résilience sont plus ou moins développées chez chaque personne en fonction de ses réactions émotionnelles avant la souffrance, qui dépendent, à leur tour, à la fois des messages et des exemples donnés par ses parents et éducateurs, et de sa sensibilité émotionnelle naturelle, qui est génétiquement déterminée.

Quant aux autres vertus nécessaires au célibat, peuvent être mises en évidence: une plus grande prudence dans les relations avec les personnes de l’autre sexe, la sincérité et la force pour ne pas se laisser dominer par la curiosité: l’inconnu produit généralement une forte attirance, et il est facile pour les personnes peu matures de céder à la tentation.

Quant aux «vides» émotionnels, il est essentiel de garder à l’esprit que ce qui rend vraiment heureux est la capacité d’aimer et cela peut être pleinement développé à la fois dans le célibat et dans la vie conjugale. Par conséquent, on ne peut pas être heureux sans aimer et sans se sentir aimé. La présence de situations dans lesquelles on se sent «vide» sur le plan émotionnel peut se produire dans une situation comme dans l’autre.

Une personne mariée peut également éprouver des «vides» émotionnels, des «lacunes» après une rupture, une perte ou un éloignement: un enfant qui part, le décès du mari, la déception d’un ami, la séparation entre les conjoints qui peut survenir avec le passage du temps si la relation entre les deux n’est pas soignée, etc. Une personne qui aime, même pleinement aimante, souffre aussi, vit des expériences douloureuses qu’elle ne peut éviter. L’important est de trouver le sens de cette souffrance.

Peut-être est-il utile de considérer que la sphère affective d’une personne se développe, s’enrichit et grandit tout au long de sa vie. En ce sens, le noyau familial est fondamental et constitutif pour les affections, mais non absolu ou définitif. L’affectivité doit continuer à grandir, à mûrir (comme les autres dimensions personnelles) et pour ce faire elle a besoin des autres. Contrairement à l’intelligence qui peut se développer en lisant et en étudiant des livres, l’affectivité ne le peut pas: il ne suffit pas de savoir, il faut vivre, vivre ce que je sais et ressens (je peux tout savoir sur l’amour, mais je ne serai une personne heureuse que si j’aime quelqu’un et si je me sens aimé par ce dernier). Et dans ce sentiment, je ne peux pas être seul, j’ai besoin de l’autre; les affections ont une dimension relationnelle.

Enfin, par rapport aux autres, il serait possible d’apporter des précisions sur le concept, parfois utilisé dans le contexte des réalités ecclésiales, d’ “amitié particulière”, car, à certaines occasions, une idée fausse pourrait être intériorisée qui entraînerait la rupture de liens enrichissants avec d’autres personnes proches ou de la même institution de l’Église. À cet égard, en synthétisant beaucoup:

– Ce serait une «mauvaise amitié particulière» (et donc, préjudiciable à la personne): un traitement exclusif ou fréquent, éprouver de la jalousie lorsque l’autre personne est avec des tiers, intimités (choses physiques ou personnelles dont il n’est pas approprié de parler avec cette personne), relation fermée au sein de laquelle personne d’autre n’entre, chuchotements, critiques, murmurations.

– Ce ne serait pas une «mauvaise amitié particulière»: se rendre compte qu’il y a une personne avec qui on a une affinité particulière et beaucoup de choses en commun, et donc on passe plus de temps avec elle sans avoir à dépendre de sa présence pour être bien émotionnellement. En définitive, un critère permettant de les distinguer est de savoir si cette amitié est exclusive d’autrui ou, au contraire, si elle est inclusive, ouverte aux autres.

20. La société d’aujourd’hui dans de nombreux pays favorise les traits perfectionnistes. Personne n’est à l’abri et l’éducation de l’affection est importante pour les personnes célibataires depuis des années dévouées à Dieu, comme pour tant de jeunes. Comment distinguer un «perfectionnisme» qui peut être supprimé avec la formation, d’un perfectionnisme qui est un risque pour le célibat?

Le perfectionnisme se produit chez les personnes incertaines qui ont besoin de prouver qu’elles font bien les choses, ont besoin de se sentir reconnues et ont peur d’être rejetées. Dans ces cas, une chose qui, en soi, n’est qu’un moyen est mis comme une fin. Si le but est de «faire les choses parfaitement», cela peut conduire à un mécontentement pour «ne pas pouvoir» ou à un sentiment de culpabilité parce que «j’aurais pu faire mieux». Cette tendance au perfectionnisme peut générer une situation de tension soutenue. Une tension peut apparaître avant l’exécution de l’action en raison de la peur “de ne pas pouvoir” ou après l’action “pour ne pas l’avoir fait selon les attentes”.

Cependant, le problème d’un vrai perfectionniste affecte toute la personnalité, dans l’humain et dans le surnaturel. Par conséquent, il ne suffit pas d’insister sur des concepts tels que l’abandon, la filiation divine, etc. Cela n’aide que s’il est cadré dans un contexte plus large, également humain: tolérer l’incertitude, apprendre à voir les choses en échelle de gris (pas en noir et blanc), tolérance à la frustration, peur de décevoir les attentes queje crois que les autres ont en moi, etc.

Si le but pour lequel nous essayons de bien faire les choses est d’exprimer l’amour pour Dieu et les autres, la personne se sentira plus libre du résultat ou du succès obtenu et des «évaluations externes». Elle aurait «dirigé» l’effort vers le véritable but.

On peut également trouver le perfectionnisme comme une caractéristique des personnalités obsessionnelles ou du trouble obsessionnel-compulsif.

Les aspects suivants peuvent aider à différencier s’il s’agit d’un trait de personnalité qui peut être modelé par l’entraînement ou s’il s’agit d’un trouble de la personnalité qui nécessite une guérison avec l’aide d’un spécialiste:

  •  si la personne est capable de reconnaître ce qui lui arrive et a le désir de changer. Au contraire, et en général, les anankastiques sont ceux qui ne veulent pas changer parce qu’ils pensent qu’ils n’ont rien à changer. En ce sens, lorsque la perception personnelle est altérée, il est souvent difficile de réaliser une transformation avec des moyens ordinaires. En général, l’intervention d’un spécialiste est nécessaire;
  •  si le perfectionnisme est limité à peu ou quelques aspects de sa vie, ou est plutôt généralisé. Quand on voit que tous les domaines sont abordés à partir du perfectionnisme, il y a généralement des comportements obsessionnels qui sapent la psyché de la personne et il n’est pas facile de sortir de ce circuit répétitif;

III. Lorsque la personne se sent tendue, accablée ou malheureuse à certains moments, elle apprend à se débrouiller plus normalement ou, au contraire, elle souffre et cause habituellement des souffrances. L’anankastique est généralement intolérable avec l’erreur des autres; il est intransigeant avec lui-même et avec les autres. Elles ont tendance à être des personnes avec qui la coexistence est difficile et avec peu ou pas de capacité à travailler en équipe;

  •  lorsque des maladies telles que l’anorexie, le TOC (trouble obsessionnel-compulsif *), l’anxiété généralisée, etc.

* Critères diagnostiques de la personnalité obsessionnelle (DSM-IV):

– Souci des détails, des règles, des listes, de l’ordre, de l’organisation ou des horaires jusqu’à perdre de vue l’objectif principal de l’activité.

– Perfectionnisme qui interfère avec l’accomplissement des tâches.

– Un dévouement excessif au travail excluant les activités de loisirs et les amitiés.

– Obstination excessive, scrupule et rigidité en matière de morale, d’éthique ou de valeurs.

– Incapacité de jeter des objets usagés.

– Est réticent à déléguer des tâches.

– Adopte un style avare dans les dépenses pour lui-même ou pour les autres.

– Montre de la rigidité et de l’entêtement.

Considération finale sur le célibat apostolique:

D’après ce qui a été expliqué dans les différentes réponses, il semble approprié que les formateurs et ceux qui aident au discernement sur le célibat aient une connaissance suffisante de la psychologie évolutionniste, ce qui permet de détecter les manifestations de normalité dans le contexte socioculturel plus large dans lequel se trouve les personnes. Ainsi, une distinction peut être faite entre ce que les gens font par éducation ou par manque d’éducation, surtout lorsque ce qu’ils font contraste avec ce qui est vécu dans d’autres cultures, et des défauts personnels de type de tempérament ou de caractère.

L’homme et la femme ont une série de caractéristiques propres qui leur permettent de se compléter. De fait, cela donne naissance à la variété et à la richesse de la famille humaine. Cependant, cette complémentarité n’implique pas un manque de plénitude chez les personnes de chaque sexe: à la racine de la diversité sexuelle dans laquelle se modélise l’être humain se trouve l’unité de chaque personne singulière; chaque homme et chaque femme sont des personnes dans leur ensemble.

En ce sens, les hommes et les femmes sont appelés à une plénitude qui s’obtient en vivant selon cette condition personnelle; Cela se manifeste surtout dans l’exercice harmonieux de la capacité d’établir une relation d’amitié avec Dieu et d’amour réciproque avec les autres êtres humains et de prendre soin du reste du monde créé.

On comprend alors que l’épanouissement personnel n’implique pas nécessairement la conjugalité, bien qu’il soit nécessaire à la continuité des hommes sur terre; il exige, au contraire, le don de soi-même. De fait, Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, se donne à tous, vivant le célibat sur cette terre. En d’autres termes, le célibat fait partie de la perfection divine et humaine incarnée du Fils de Dieu, modèle de tout être humain, homme et femme, dans le temps et dans l’éternité.

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[1] cfr. Instruction “Ecclesiae Sponsae Imago” sur “l’Ordo virginum”, 8-VI-2018, nn. 1-5.

[2] Francisco, Exh. Ap. Amoris laetitia, 19 mars 2016, n. 161. La citation interne est de Jean-Paul II, Lettre enc. Redemptor hominis, 4 avril 1979, n. dix.

[3] En ce sens on peut lire, par exemple, l’explication que font les Statuts de la Prélature de l’Opus Dei sur les différentes modalités d’appartenance en termes de disponibilité: «Selon la disponibilité habituelle de chacun à se consacrer aux tâches de formation et à certaines tâches apostoliques de l’Opus Dei, les fidèles de la Prélature, hommes ou femmes, sont appelés Numéraires, Agrégés ou Surnuméraires, sans former de classes différentes. Cette disponibilité dépend des circonstances variées et permanentes – personnelles, familiales, professionnelles ou autres analogues – de chacun » (Statuta, n. 7 § 1).

[4] Benoît XVI, Discours à la Curie romaine, 22-XII-2006.

[5] Cf. Saint Josémaria, Quand le Christ passe, n. 55.

[6] Saint Josémaria, Entretiens, n. 92. En ce sens, les Statuts de la Prélature de l’Opus Dei affirment que tous les fidèles se donnent au service de Jésus-Christ «avec un plein dévouement» (Statuta, n. 87 § 1), chacun selon les circonstances de sa propre vie.

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